BOGUE
Épilogue d'un passage à l'an 2000
Dans le monde, 3.600 milliards de francs(1) ont été dépensés pour se prémunir contre un bogue informatique imaginaire. Rien ne s'est passé. Nous avons chassé du vent. Mais la leçon à tirer de ce gâchis se trouve ailleurs. Nous remarquerons que nos économies occidentales ont été capables de mobiliser spontanément et en pure perte, des capitaux dont le dixième(1) suffirait à endiguer le SIDA en Afrique. Alors que le nombre de victimes du SIDA sur le continent africain dépasse le nombre de morts tombés en Europe pendant la deuxième guerre mondiale(1), les laboratoires américains, titulaires des brevets de la tri-thérapie(2), persistent dans leur tyrannie économique et leur répression juridique, excluant l'accès aux soins à 3/4 des malades du SIDA dans le monde. De fait, les condamnant à mort. Pendant que l'Afrique meurt - moins victime de la maladie que de notre politique économique -, nos télévisions(3), faute d'imagination pour cette nuit du 31 décembre 1999 au 1er janvier 2000, ont rivalisé de moyens techniques, humains et financiers pour nous imposer le même programme : vision folklorisée des différents peuples du monde, sur fond de feux d'artifices célébrant la nouvelle année aux quatre coins de la planète. Pour le passage à l'an 2000, la seule idée des chaînes de télévision a été de nous présenter la planète comme un grand Disneyland ®. Charlie Chaplin dans le célèbre discours final du film "Le Dictateur" affirmait : « Nous avons inventé la vitesse pour tourner en rond ». Constat rageur d'une fiction cinématographique engagée, devenu gloire de notre réalité télévisuelle amorphe. L'implication dans des opérations comme le Téléthon dispense aujourd'hui les médias de prise de position et d'engagement, dans le regard porté sur l'organisation de notre monde. Si nos politiques et nos "experts" internationaux ne font pas davantage preuve d'imagination et d'audace pour autoriser - voir imposer - la libre copie par tous les laboratoires, des médicaments nécessaires à la survie des malades africains, c'est bien à un génocide économique(4) auquel nous avons commencé à assister sous l'oeil absent de nos caméras.
L.Z.
(1) source France Info du 11/01/2000)
(2) Tri thérapie : combinaison de trois traitements médicamenteux extrêmement coûteux permettant d'endiguer la progression du virus VIH dans le corps des personnes séroposives. La tri thérapie, actuellement le seul traitement efficace contre le SIDA, est la propriété exclusive de quelques laboratoires privés qui le commercialisent à des prix prohibitifs. De plus, ils intentent des procès aux laboratoires Sud Africains qui dupliquent leurs molécules pour sauver la vie de millions d'êtres humains du continent noir.
(3) TF1, France 2 et France 3
(4) Philippe Val, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, affirme à propos de la déportation des juifs par les nazis au cours de la seconde guerre mondiale, qu'on ne peut pas impunément regarder passer des trains sans se poser de questions. A partir d'un moment dit-il, on se doit d'aller voir ce qu'il y a dans les wagons. Aujourd'hui pour l'Afrique, nous savons, et sommes à titre individuel responsables devant notre conscience, comme notre société le sera devant l'histoire.
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