"Grands reportages",
sans "grands reporters"

Nouveau concept d'information : le reportage sans journalistes, simple courroie de transmission de l'idéologie à véhiculer

accidentSi l'appellation "grands reportages" a un sens, il n'est pas dans la dernière mouture de l'émission éponyme diffusée sur TF1. Composée d'une succession de séquences filmées par la police américaine l'émission n'est qu'un florilège de scènes ultra violentes, sans aucun liens entre elles, de poursuites en voitures contre de présumés délinquants en fuite. Filmées depuis l'hélicoptère ou la voiture de la police, ces images sont tournées pour la justice américaine et largement diffusées auprès des médias. Quand les accidents se produisent trop vite, la séquence repasse au ralentit ; plusieurs fois si nécessaire. Ces images d'une rare violence, de paumés traqués par une armada en uniformes, recèlent un pouvoir de fascination malsaine, dans le sens où leur vison nous plonge dans un sentiment de malaise sans que nous puissions nous en détacher, stimulés par nos bas instincts de voyeurs quelques peu morbides. Mais passée la stupéfaction et le choc émotionnel occasionné par ces images bombardées sur nos écrans, intervient, pour le téléspectateur, la question de savoir ce qu'entend nous apprendre le "documentaire". " Des policiers courent après des voleurs présumés pour tenter de les arrêter ". Quel scoop ! Mais informer, c'est peut-être donner à voir, mais c'est avant tout donner à comprendre. Ces séquences extrêmes, saisies par les caméras de la police puis sélectionnées pour les médias devraient amener le journaliste chargé d'exploiter ces images à réfléchir sur leur origine, leur sens, à enquêter, à mettre cette violence en perspective par rapport à la société qui la produit ; bref, à informer le téléspectateur. Sur TF1, le rôle du journaliste, s'il en a un, consiste à truquer la bande son pour y rajouter des bruit de sirène de police là où il n'y en a pas. Pour faire plus vrai, plus "en situation". Ainsi, parmi mille exemples, quand un second hélicoptère s'intercale entre la caméra et la voiture de police qui était filmée en dessous, on continue à entendre la sirène de la voiture comme si de rien n'était. D'habitude, pour construire une fiction on s'inspire du réel ou du plausible pour bâtir autour un scénario original, mais ici c'est l'inverse. Pour la réalisation de ce document d'un genre particulier, la police utilise les mécanismes des films d'action pour reconstruire le monde réel, tel que les pouvoirs qu'elle sert souhaitent que le public le perçoive. Les prises de vues reproduisent des scènes réelles, mais sont filmées avec des moyens hollywoodiens. Le montage du film respecte un style, un rythme et une écriture cinématographique digne des meilleurs films d'action. La bande son est réorchestrée avec musique de mise en situation et effets sonores pour accentuer le réel et stimuler nos palpitations pendant cavale puis l'apothéose de l'arrestation dans un déluge de tôles froissées ou de barrières pulvérisées. Exit le journaliste. Dehors l'esprit critique ou toute notion de contre pouvoir : le reportage devient la courroie de transmission directe de l'idéologie sécuritaire américaine véhiculée par l'autorité. Et TF1 nous sert brut ce spectacle prétendant refléter le monde réel, où les policiers ont remplacés les reporters et les téléspectateurs sont devenus des juges. Ce spectacle de l'exécution par la machine répressive américaine des déviants que la société produit, donné en pâture aux contribuables dégoulinants d'ice cream et de pop-corn gluant, affalés devant leurs téléviseurs. Mise en scène moderne, par petit écran interposé, des exécutions capitales d'antan, organisées par le pouvoir, sur la place publique. Même rôle expiatoire. Même lâche concession faite au peuple pour mieux faire oublier son incapacité à construire une société plus juste. Mais ici l'exaltation jubilatoire est plus civilisée : orchestrée en musique ; les séquences trop sanguinolentes et les bavures ont été expurgées. L'écran froid du téléviseur joue le même rôle de catalyseur que la place publique où s'aglutinent les regards visqueux de la foule qui hurle son ressentiment envers ces ennemis de la bonne société. Mais le consommateur est tranquillement abrité derrière son petit écran, dans le confort de son fauteuil, avec le frigo et la carte bleu à porté de main. Car pendant les pages de pub, les annonceurs ne perdent pas le nord. Et notre docile téléspectateur de TF1 se verra proposer lors de la coupure publicitaire, la vidéo du film "Poursuite". Comme quoi l'exploitation du sang, de la sueur et de la misère humaine donnée en pâture, est rentable. Mais qui en doutait ?

L.Z.

Le carnet du zappeur


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