Championnat d'Europe d'athlétisme

Faux direct sur France 3

Fin août 1998, si de nombreux téléspectateurs européens ont pu suivre en direct les finales des championnats d'Europe d'athlétisme, ceux de France 3 n'en eurent que l'illusion. En effet, le service public diffusa des épreuves avec un différé de 5 à 10 minutes en faisant croire à du direct. Pendant que la Télévision Suisse Romande retransmettait les épreuves du championnat en direct, France 3 intercalait des pages de publicités, imaginant des phases creuses fictives dans le déroulement du programme sportif. La supercherie a ainsi permis d'intercaler de longues tunels publicitaires pendant le déroulement des épreuves, sans que les téléspectateurs perdent une miette de celles-ci. Le "direct" en différé permet par ailleurs de muscler le rythme de la couverture journalistique. Ainsi nous pûmes assister à des scènes surréalistes où les sportifs, frais et dispos, accordaient leurs interviews quelques secondes après la fin présumée des épreuves. Plus de temps morts à l'antenne ! Cette dérive du mode de diffusion des épreuves sportives ne constitue pas un cas isolé mais relève d'une mutation structurelle des modes de retransmission. Aujourd'hui, les téléspectateurs zappant sur les chaînes du câble savent bien que la plupart des podiums de Formule 1 ne sont plus retransmis en vrai direct par les chaînes hertziennes, mais seulement après la brochette de réclames. Les droits télévisuels élevés et la concurrence exacerbée, incitent les diffuseurs à recomposer la réalité pour construire une fiction du réel, adaptée à la fois à leurs exigences médiatiques en terme de spectacle, et à leurs impératifs financiers publicitaires. Peu importe la réalité, seule compte la crédibilité. Les journalistes sont instrumentalisés au rang d'agents d'ambiance haut de gamme, de speakerines de l'info de luxe. Après la segmentation spatiale opérée grâce à la multiplication du nombre de caméras autour des stades, les réalisateurs de télévision disloquent à présent la dimension temporelle des épreuves au point qu'un téléspectateur averti (écoutant par exemple France Info), connaisse le résultat de la course avant qu'elle ne se soit courue en direct ! Au-delà de l'anecdote, on comprendra que les moyens technologiques des chaînes ne sont plus asservis aux événements qu'elles sont censées retransmettre mais aux exigences de la fiction qu'elles construisent pour atteindre leurs objectifs économiques. Le déroulement de l'événement n'est plus considéré comme un terrain journalistique mais comme un support commercial dont on articule les composantes pour optimiser leur rendement commercial. Tout l'art du journalisme moderne de télévision ne consiste plus à coller à la réalité, mais à s'en affranchir. Et le téléspectateur, victime de ces manipulations, est de plus en plus désemparé pour s'en rendre compte. Vive le progrès !

L.Z.

Article exclusif Carnet du zappeur ©

Carnet


http://www.chez.com/television

L'utilisation de cet article est soumise au code sur la propriété intellectuelle. Sa publication, traduction, diffusion hors du cadre strictement privé, n'est pas autorisée sans accord préalable explicite passé avec l'auteur.

e-mail : television@chez.com