Réveillon truqué à France 2

Le faux direct de Michel Drucker avait été enregistré deux semaines avant sa diffusion

enfant penduAu cours de l'émission spéciale du 31 décembre 1997 sur France 2, Michel Drucker quitte la table de ses invités pour introduire Pierre Perret. Changement de plan. "Merci Pierre d'avoir quitté ton réveillon pendant une heure pour être présent avec nous". Moue gênée du chanteur. Applaudissements. Pierre Perret chante. Michel Drucker croit bon d'insister en revenant vers son parterre d'invités : "C'est vraiment sympa de la part de Pierre d'avoir quitté son réveillon pour être avec nous ce soir". En effet, c'eut-été sympa ! Sauf que ni l'annimateur, ni personne n'était avec nous le soir du réveillon. L'émission de Michel Drucker (comme celle d'Arthur, diffusée au même moment sur TF1) avait été enregistrée 15 jours avant. Mieux : le public présent lors de l'enregistrement n'a pas pu voir Pierre Perret en chair et en os car la séquence avait été enregistrée vingt quatre heures avant dans une salle vide, puis insérée au montage avec des applaudissements artificiels pour faire "raccord".
Il est compréhensible qu'en raison du caractère familial des fêtes de Noël, les animateurs et les artistes préfèrent enregistrer leurs émissions pour être chez eux le soir du 25 décembre. Par contre, il est plus surprenant que pour célébrer un changement de calendrier, les gens du spectacle dédaignent partager ce moment de festivités avec leur public. Faire la fête ensemble, c'est pourtant communier avec les spectateurs, créer des liens. La fracture qui sépare les gens de télévision de ceux qui les regardent apparaît ici au grand jour. Impossible dans ces circonstances de nous identifier à eux. Leur mépris nous est jeté à la figure. Aux vedettes de s'amuser dans des soirées où nous sommes exclus et au public le plaisir de regarder à la télé l'enregistrement de leurs réjouissances simulées. 5 ... 4 ... 3 ... 2 ...1 ... 0 : C'est la nouvelle année, c'est la fête ! Nous sommes le 17 décembre... Duperie. Rien n'est vrai.
Le problème des émissions enregistrées et reconstruites au montage s'inscrit dans un cadre plus vaste. Le divertissement populaire n'a rien de méprisable. Aujourd'hui, à la télévision, les émissions de variété en direct font figure d'exception. Fini les fêtes, les délires où tout pouvait arriver ; bonjour les produits télévisuels froids de la fin des années 90. Adieux les fêtes, bonjour les concepts. Les meilleurs moments de l'émission sont diffusés en bande annonce deux jours avant leur programmation. Pas de place pour un temps mort ! Un coup de ciseau dans bande vidéo et le rythme est maintenu. Un invité absent ? Pas grave : on l'enregistre avant et on le rajoute au montage avec des applaudissements artificiels, ou on reprend une séquence d'une ancienne émission qu'on insère dans la nouvelle. Vive le recyclage, vive l'efficacité, vive la rentabilité. Le téléspectateur n'y voit que du feu.
Avec ces méthodes, les producteurs d'émissions de variétés ont fini par reconstruire le réel de la fête en produit de consommation prédigéré. Ils substituent ainsi une relation de complicité avec le téléspectateur en un rapport de duperie. Les caciques des chaînes de télévision s'étonneront de la baisse générale de l'audience de la télé ! Si on ne s'amuse plus avec eux, c'est avant tout parce qu'ils ne s'amusent plus avec nous.

L.Z.


Marianne

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