Du journalisme engagé

Le choix de Maurice...

13 heures TF1

13 heures France 2

« Maurice Papon choisit l'exil »

« Un criminel en cavale »

Mercredi 20 octobre 1999, TF1, 13 heures. Après avoir annoncé les prévisions météos pour l'après-midi, Jean-Pierre Pernaut poursuit l'ouverture de son journal avec l'information du jour : " un vieil homme est persécuté ... par le fisc ". Une histoire d'homonymie : l'homme en question est un honnête homme, mais les truanderies d'un homonyme lui portent un préjudice considérable depuis 20 ans. L'info n'est pas de dernière fraîcheur, mais Pernaut adore ça. Ensuite il compte nous parler de la pluie et du beau temps (il a plu dans le sud de la France), mais une info mobilise toutes les rédactions et les antennes des radios depuis le matin : Maurice Papon, condamné à 10 ans de prison pour complicité de crime contre l'humanité, est en fuite. L'actualité, Pernaut n'aime pas trop ça, mais a une façon très à lui de l'aborder. Il annonce : « Maurice Papon choisit l'exil ». Choisit l'exil : l'expression sonne bien. On ressent le déchirement, mais aussi la dignité de ce vieillard ayant à assumer une décision aussi cruelle que celle d'abandonner sa terre natale. L'URSS avait Soljenitsyne, la Cinquième République française aura aussi son exilé politique: Papon.

France 2 ne doit pas recevoir les mêmes dépêches d'agence que sa concurrente, car une autre info occupe l'ouverture du journal : un criminel tentant d'échapper à une condamnation de 10 ans de prison est en fuite. Il aurait même quitté le territoire. Ce prévenu s'appelle aussi Maurice Papon. Le même nom que sur TF1, mais il s'agit sûrement d'une homonymie. Celui-ci est en cavale nous informent Carole Gaessler et Rachid Arhab, les deux co-présentateurs du journal de treize heures de la Deux.

Il faudra attendre l'arrestation de Maurice Papon deux jours plus tard pour se rendre compte qu'il s'agissait bien du même homme sur les deux chaînes. Dans son édition de la mi-journée, France 3 ouvre le bal et annonce « la fin de la cavale de Maurice Papon ». « Le criminel en fuite a été arrêté en suisse ». France 2 consacrera les 16 premières minutes de son journal de treize heures à cette information. « Fin de la traque de Papon » annonce Carole Gueasler. « Le condamné en cavale » avait tenté de faire « un bras d'honneur à la justice française » nous rappellent les journalistes de la rédaction dans un reportage.

Jean-Pierre Pernaut a la tête des mauvais jour. Après avoir présenté son bulletin météo, il nous annonce, avec l'air grave d'un Roger Giquel qui viendrait d'enterrer père et mère, que Maurice Papon a été arrêté. Le même Maurice qui avait choisit l'exil deux jours plus tôt. Le même Papon qui a fait ramasser femmes et enfants juifs pendant la guerre pour les remettre aux nazis. Lui le spécialiste de l'homonymie avec le fisc s'est fait bluffer sur une fausse homonymie dans une affaire criminelle ! Comme pour la minimiser, Pernaut expédie l'affaire Papon en 4 minutes (quand France 2 lui en consacre 16) avant de conclure " les affaires judiciaires" par l'annonce du "renvoi de Robert Hue, secrétaire général du PC, devant la justice " pour le financement présumé occulte de son parti. Papon le criminel condamné à 10 ans de prison pour complicité de crime contre l'humanité et Hue, présumé innocent dans une affaire de financement politique, réunis dans la même chronique, rassemblés dans la même barque du 13 heures de Jean-Pierre Pernaut. Comme si les deux informations étaient du même registre ou pouvaient s'éclairer l'une l'autre.

Entre le "choix de Maurice" et le "renvoi de Robert", qui a dit que les journalistes manquaient d'engagement ?

L. Z.

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