FRANCE 3

Populisme

 

Imitant les conservateurs allemands de 1933, la droite autrichienne de l'an 2000 s'allie aux fascistes pour accéder au pouvoir. Comme tous les journaux et magazines d'actualité, Christine Ockrent consacre une part importante de son émission France Europe Express à l'arrivée au gouvernement autrichien de la coalition bleue noire. Mais les journalistes en plateau comme les reporters sont embarrassés d'un point de vue sémantique. Comment appeler un parti qui prêche la haine de l'autre, joue sur les sentiments xénophobes des électeurs, désigne des boucs émissaires, tient un discours négationiste et fait l'apologie de la politique sociale du IIIème Reich ? Un parti fasciste ? Un parti néonazi ? Un parti d'extrême droite ? Non : un parti populiste !

L'aspect télégénique de son représentant, son élégance vestimentaire, son sourire charmeur, son aisance verbale, son ton calme et posé, s'accordent mal avec des termes aussi durs et crus que "fasciste" ou "néonazi". Face aux caméras, le physique et l'attitude de Jörg Haider évoquent plus un Tony Blair qu'il ne rappellent la sale gueule et l'arrogance d'un Sadam Hussein ou d'un Milosevic. Et en télé ça change tout. Les idées sont certes nauséabondes, mais évoquées de manière polie, avec tact et habileté, sans heurter les sensibilités démocratiques, énoncées dans les règles de l'art de la communication ; à l'américaine. Pour de nombreux esprits, la fonction de l'image dépasse celle d'une illustration, renforçant le discours prononcé en voix off : l'image est supposée être la vérité. Mais quand la réalité dément l'image, nos journalistes de télévision sont pris à contre pied. L'idéologie de la vérité révélée par l'image vacille dans la rupture entre le fond et la forme. Et s'inverse même. Les journalistes nous suggèrent presque de ne pas se fier à ce que l'on voit, à ce qu'ils nous montrent. « L'image est trompeuse, l'image ment nous disent-ils à mots couverts. L'homme que nous vous montrons n'est pas sympathique, il est dangereux. »

Les années 80 et 90 nous ont appris que la télévision effectue une fusion des valeurs entre la nature des idées, le caractère télégénique de celui qui les exprime et la force de conviction avec laquelle il les énonce. La religion cathodique opère une fusion des valeurs entre le fond et la forme. Peu importe le message, l'essentiel est qu'il soit crédible et accepté(1). L'évocation du parcours télévisuel de Bernard Tapie dans la vie publique française est à ce titre, un cas d'école.

Nous assistons aujourd'hui à l'apogée de l'idéologie dominante de cette fin de 20ème siècle : l'idéologie de la communication. Dans le règne des conseillers en image, on peut tout vendre : de l'homme politique, des idées, une guerre, un parfum, un procès, une marée noire. Tout est une affaire de forme, de stratégie de communication , de plan média. Pour la télévision (et par osmose, pour la majorité de la presse écrite et radiophonique), la jonction sémantique entre l'image et la réalité s'opère sur la ligne médiane : Jörg Haider ne sera donc ni "démocrate" comme le laisse supposer son image, ni "fasciste" comme le prouvent ses discours passés, ses actes présents et son programme pour l'avenir. Il sera "populiste".

Difficile de se faire une idée sur les réalités que recouvrent la notion de "populisme". Est-ce le fond ? La forme ? La méthode ? Les actes ? Le discours ? De la simple démagogie ? Vaguement un peu tout ça à la fois. Mais si le fascisme et le nazisme sont intolérables, qualifier de "populiste" le parti de Jörg Haider, le rend peut-être méprisable, mais lui confère avant tout une acceptabilité politique. Il est inconcevable qu'un ministre de l'union européenne accepte de recevoir un dirigeant néonazi, mais un élu populiste... (on reçoit bien le président Chinois).

La suite de l'émission de Christine Ockrent devait se consacrer au problème - au combien crucial - de l'éducation en France, avec un débat entre le ministre de l'éducation nationale et un député d'opposition, puis se poursuivre par une interview du ministre par le journaliste Serge July. Claude Allègre avait à peine commencé à échanger deux phrases avec le député, dans un débat qui s'annonçait pertinent et courtois, que Christine Ockrent interrompit nos deux débateurs pour s'excuser de devoir rendre l'antenne de façon anticipée et précipitée. Silence gêné du ministre, regard embarrassé du député, soupir outré de Serge July. Silence on ferme. L'émission de sport est avancée : le récit des exploits de nos sportifs à crampons ne peut pas attendre. Fini le divertissement, place à l'actualité, priorité à l'information, la vraie. On interrompit ce soir là une émission politique de grande qualité, en sacrifiant un débat sur l'avenir du système éducatif français, pour nous montrer des poilus exulter parce qu'ils ont envoyé la baballe dans les filets et nous raconter leurs exploits. Sans avoir bien cerné ce que recouvre la notion de populisme, il m'apparaît que le sens de la hiérarchisation de l'actualité du responsable d'antenne de France 3 ce soir là, en constitue le socle. Je ne sais pas si France 3 s'est comportée ce soir là comme une télévision populiste ou a bêtement obéi à une logique de programmation marketing. Je laisse le soin à l'internaute de trancher. Une chose est sure, elle ne s'est pas comportée comme une télévision de service public.

L. Z.

 

(1) L'émission « L'heure de vérité » sur France 2, dans les années 80, avait consacré ce dogme par l'instigation de sondages mesurant le pouvoir de conviction de l'invité. Un institut de sondage mesurait en direct la crédibilité dans l'opinion, des idées de l'homme politique, avant et après son intervention. Un écart important entre le taux de crédibilité avant et après l'émission consacrait un passage en télé réussi. La pertinence du discours n'était que très rarement, ou alors très subtilement remise en cause par les journalistes chargés de poser des questions : Alain Duhamel, Jean-Marie Colombani, Albert Duroy et François Henri de Virieu (ce dernier déclarera à Pierre Carles, dans le film "Pas vu à la télé", que « les Français n'avaient pas à tout savoir »).

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